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Article publié le 11 mars 2020 dans Miroir social https://www.miroirsocial.com/node/66395

Licenciements économiques déguisés : la sanction de la fraude à la loi

Si l’effet le plus visible de la crise économique qui commence est celui de la montée en puissance des gros plans sociaux, il existe un autre aspect moins médiatique mais qui concerne probablement beaucoup plus de monde encore : celui des licenciements économiques déguisés.

Cette expression de « licenciement économique déguisé » se suffit à elle-même : on parle d’abord et avant tout d’un travestissement, d’une mise en scène. Il s’agit d’un simulacre de licenciement prononcé sous couvert d’un soi-disant motif personnel « inhérent à la personne du salarié », mais qui en réalité vise à répondre à un objectif économique recherché par l’employeur, le plus souvent une suppression de poste.

1°) Genèse et explosion des licenciements économiques déguisés

Les licenciements économiques déguisés sont une pratique ancienne et connue. Ils visent pour l’employeur à s’extraire des règles contraignantes des licenciements économiques, à savoir : l’obligation de consultation du CSE dès lors qu’il s’agit d’un PSE (L. 1233-30) ou d’un « petit » licenciement économique collectif (L. 1233-8), l’obligation d’appliquer des critères de licenciement, la priorité de réembauchage, le cout additionnel d’une convention CSP ou d’un congé de reclassement… sans compter le risque de publicité négative que cherchent à éviter nombre d’entreprises. De tels licenciements étaient habituellement sanctionnés par l’octroi de dommages et intérêts plus importants qu’un simple licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Les licenciement économiques déguisés ont connu un véritable essor avec les Ordonnances Macron du 22 septembre 2017 qui ont plafonnées les indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En effet, l’article L. 1235-3 nouveau du Code du travail limite expressément au maximum du plafond les éventuels cumuls de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec toutes autres sortes de préjudice : non-respect de l’obligation de consultation du CSE ? de la priorité de réembauchage ? de l’absence de mise en place du CSE ? peut-importe, c’est toujours le « plafond Macron ».

Dans la mesure où le risque plafonné est le même, c’est-à-dire pas grand-chose pour les petites anciennetés, pourquoi mettre en œuvre une procédure de licenciement pour motif économique ? Autant mettre en œuvre une procédure de licenciement pour motif personnel beaucoup plus souple et non assortie de critères de licenciement (pratique du cherry picking), quitte à payer la « taxe licenciement » à savoir les quelques mois du plafonnement Macron.

Les dernières réserves des employeurs ont sauté avec les deux avis n°1502 et 1503 de la Cour de Cassation du 17 juillet 2019, qui ont validé ce dispositif au regard  de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’Organisation Internationale du Travail et de l’article 24 de la Charte sociale européenne du 3 mai 1996.

Depuis lors, nombre d’employeurs ont allégrement franchi le pas : combien de fois les avocats pro-salariés n’ont-ils entendu de leurs confrères pro-employeurs la même ritournelle : « on est sympa, on vous propose une négociation sur la base du barème Macron, et c’est à prendre ou à laisser ».

Avec la crise économique Covid qui commence, on assiste à une explosion de ces licenciements économiques déguisés qui poussent désormais comme du chiendent. Il suffit de googliser quelque peu pour s’en rendre compte.

Ainsi par exemple, un article de l’Est Républicain du 10 juillet faisait état de tels licenciements déguisés en masse chez l’équipementier Forecia. Le titre de cet article est à lui seul déjà évocateur : « Faurecia licencie en catimini et sans prendre de gants ». Les propos des représentants du personnel, tels que rapportés dans cet article, mettent en exergue les dégâts de cette pratique : « tout s’est accéléré avec la crise sanitaire du Covid-19… La chasse est ouverte et les licenciements économiques déguisés se multiplient… La rapidité avec laquelle les salariés sont convoqués à l’entretien préalable au licenciement, lequel ne repose sur aucun fait avéré et sérieux, est choquante… Beaucoup en ressortent en pleurs, complètement cassés. Psychologiquement, c’est très dur à vivre. Ils ne comprennent pas ce qui leur arrive. Du technicien au cadre dirigeant, aucune catégorie socioprofessionnelle n’est épargnée. » Et l’article de poursuivre sur les conséquences du plafonnement Macron en citant les propos d’un des membres de l’intersyndicale :  « Le plafonnement des indemnités prud’homales en cas de licenciement injustifié ne joue pas en faveur des salariés. Cyniquement, la direction leur dit qu’ils peuvent toujours saisir les Prud’hommes, mais qu’ils n’obtiendront pas grand-chose et que le mieux, pour eux, c’est de négocier avec elle. »

Cela n’a vraiment plus rien de « sympa ». Le barème Macron était déjà une cause d’injustice ; instrumentalisé de la sorte, il devient une cause d’iniquité.

Certes, la jurisprudence de la Cour de Cassation est critiquable (il existe de nombreux articles sur le sujet), certes la récente décision CGIL c/ Italie du 11 septembre 2019 confirme la forte probabilité de condamnation de la France pour violation de l’article 24 de la Charte Sociale Européenne (CSE) par le Comité Européen des Droit Sociaux (CEDS), et certes, dans un tel cas, la position de la Cour de Cassation deviendra difficilement tenable. Mais tout cela reste hypothétique et la prudence impose de trouver d’autres solutions.

Dans certains cas, il est toujours envisageable de recourir à la notion de discrimination, notamment lorsque le licenciement vise une personne régulièrement malade ou encore une personne âgée. Mais l’usage de cette notion de discrimination reste en tout état de cause limité, et si l’employeur parvient à prouver que le critère de choix a été celui de l’efficience, alors le licenciement est certes sans cause réelle et sérieuse mais il n’en est pas pour autant discriminatoire.

En fonction de telle ou telle spécificité des affaires, d’autres pistes pourront toujours être investiguées, telle par exemple celle de la notion de « perte de chance » (hypothèse d’un licenciement déguisé préexistant à la mise en œuvre effective, quelques semaines ou mois plus tard, d’un PSE en bonne et due forme) ou encore celle du « caractère vexatoire » des circonstances entourant le licenciement, dont la relative grande souplesse permet d’entrevoir plusieurs usages. Il sera inutile toutefois de chercher à recourir à la notion de  « perte de chance de conserver un emploi » puisque la Cour de Cassation considère que cela fait double emploi avec l’indemnisation du licenciement (Cass. soc., 24 mai 2018, Pourvoi nº 16-18.307).

Toutes ces pistes restent dépendantes des circonstances propres de chaque espèce ; elles ne s’attaquent pas au cœur du problème qui est celui du caractère frauduleux de tels licenciements.

2°) Le recours à la notion de fraude à la loi comme réponse efficace et générale

Le recours à la notion de fraude à la loi constitue probablement aujourd’hui la piste d’action la plus sérieuse pour faire obstacle aux licenciements économiques déguisés. Déjà mise en œuvre par les juges en cas d’atteinte à l’obligation de mise en place d’un PSE par le biais de la nullité du licenciement, elle pourrait être amenée, malgré le cantonnement de cette jurisprudence aux seuls PSE, à jouer un rôle efficace sous une autre forme, par un biais indemnitaire, pour tous les cas de licenciements économiques déguisés.

a.) Nullité de licenciement en cas de fraude à l’obligation de mise en place d’un PSE

La notion de fraude à la loi est d’ores et déjà utilisée pour sanctionner les opérations de réductions d’effectifs par le biais de licenciements déguisés les plus importantes, celles qui auraient dû normalement être mises en œuvre dans le cadre d’un plan social (PSE).

Dans ce cas, la fraude à la mise en place d’un PSE, lorsqu’elle est établie, entraine la nullité des licenciements déguisés et des éventuelles transaction conclues dans la foulée ; elle ouvre droit à réintégration des salariés concernés avec paiement des salaires jusqu’à réintégration effective, après déduction revenus de substitution et moyennant restitution des indemnités de rupture perçues.

On peut ainsi à cet égard citer un arrêt rendu le 13 décembre 2006 (P. 05-43092) par lequel la Cour de Cassation a approuvé les juges du fond d’avoir annulé un licenciement déguisé et sa transaction subséquente au motif que « la qualification de licenciement pour motif personnel résultait d’une fraude de la part de l’employeur destinée à lui permettre d’éluder les dispositions impératives de l’article [L. 1233-61]… du Code du travail qui l’obligeait, après reconnaissance de la nature économique du licenciement, à mettre en place un plan de sauvegarde de l’emploi pour respecter les droits du salarié en matière de licenciement collectif ». On peut aussi citer, comme autre exemple du recours à cette notion de fraude à la loi, le fameux arrêt Alcatel de la Cour d’Appel de Versailles du 9 novembre 2004 (n°04-02518) qui a ordonné la réintégration de 170 salariés d’Alcatel Câble de Conflans-sainte-Honorine (Yvelines), la nullité des transactions conclues postérieurement aux licenciements, et le paiement des salaires depuis les licenciements jusqu’à réintégration effective (cet arrêt a finalement été cassé par la Cour de Cassation, mais pour un motif annexe tiré de l’incompétence du Juge des référés pour annuler les transactions).

Cette obligation de réintégration en cas de fraude à la mise en place d’un PSE s’explique d’abord et avant tout par l’article L 1235-11 du Code du travail prévoyant expressément la faculté pour le juge de « prononcer la nullité du licenciement et ordonner la réintégration du salarié » en cas de licenciement dans le cadre d’un PSE nul ou non validé / homologué.

De manière alternative à la réintégration, L 1235-11, et son doublon l’article L. 1235-3-1 applicable à tous les nullités de licenciement expressément prévues par un texte, prévoient en des termes identiques que « lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. ». Autrement dit, les plafonnements ne s’appliquent pas et c’est alors un minimum de 6 mois de dommages et intérêts (à l’exception des salariés ayant moins de 2 ans d’ancienneté qui peuvent uniquement prétendre « en cas de licenciement abusif, à une indemnité correspondant au préjudice subi » : article L. 1235-14 du Code du travail)

La nullité et la non-application des plafonds Macron en cas de fraude à la mise en place d’un PSE s’explique donc d’abord et avant par l’existence d’un texte spécifique : L. 1235-3-1 et L. 1235-11.

b. Les refus fermes d’extension de cette jurisprudence hors situations de PSE

Il reste qu’en pratique cette situation est limitée car elle ne concerne que les réductions d’effectifs significatives, celles qui sont de nature à imposer la mise en place d’un PSE. Et, même dans ce cas, la preuve de la violation de l’obligation de mise en place d’un PSE n’est pas toujours aisée, surtout pour un salarié seul lorsqu’il n’est pas secondé efficacement par les représentants du personnel comme exposé ci-après.

D’où la question suivante : peut-on envisager d’appliquer cette jurisprudence à tous les licenciements économiques déguisés, même hors situation de PSE ?

Le principe en matière de fraude à la loi étant que la fraude corrompt tout, selon l’adage fraus omnia corrumpit, peut-on considérer que le licenciement doit être annulé comme sanction de la fraude, ce qui doit amener les mêmes conséquences (réintégration ou dommages et intérêts sans limitation) qu’en cas d’atteinte à l’obligation de mise en place d’un PSE ?

En l’état de la jurisprudence, la réponse est négative.

En ce domaine, le principe reste le même depuis un arrêt du 3 mars 2001 (P. n° 99-45735) : pour la Cour de Cassation,  « le juge ne peut, en l’absence de disposition le prévoyant et à défaut de violation d’une liberté fondamentale, annuler un licenciement ». Ayant récemment encore rappelé ce principe à l’occasion d’un arrêt rendu le 28 mars 2018 (P. n° P. n°16-25405), la Cour de Cassation a précisé que « la méconnaissance par l’employeur de la procédure applicable à un licenciement pour motif économique non soumis [à l’obligation de mise en place d’un PSE]…  ne caractérise pas la violation d’une liberté fondamentale ».

Cette jurisprudence classique heurte aujourd’hui, au moment où se cumulent à la fois l’effet « plafond Macron » et l’effet « Covid ».

Est-il normal qu’une mère de famille isolée avec 3 enfants, ou un salarié malade ou encore âgé, ne puisse revendiquer que 2 ou 3 mois de dommages et intérêts dans le cadre d’un licenciement économique déguisé alors qu’il aurait conservé son emploi si l’employeur avait fait application des critères de licenciement ?

A l’évidence, la réponse est négative.

c. Solution proposée : la fraude à la loi comme source d’indemnisation supplémentaire

Dans l’attente d’un éventuel revirement de la Cour de Cassation sur ses avis du 17 juillet 2019, le recours à la notion de fraude à la loi pour ces licenciement économiques déguisés pourrait constituer la réponse la plus pertinente et la plus efficace : non plus avec l’objectif ambitieux (et vain) d’aboutir à une nullité de licenciement, mais avec celui, plus modeste, d’aboutir à l’octroi de dommages et intérêts supplémentaires allant au-delà du plafonnement.

Entendons-nous bien : il n’est nullement question ici de redébattre à nouveau de la question de savoir si l’absence d’un motif économique légitime constitue une fraude rendant sans objet la consultation du CSE et viciant toute la procédure de licenciement. Ce débat a déjà été tranché par la Cour de Cassation avec l’arrêt Vivéo du 3 mai 2012 (P. n° 11-10741) ; dans un tel cas d’ailleurs, l’employeur  « ne commet aucune ‘manœuvre’ : le fait d’engager une procédure de licenciement collectif n’est pas une manœuvre pour éluder la loi qui organise le régime de ces licenciements ». (RJS, juin 2012, Chronique Jean Pélissier, « Défaut de cause économique et absence de nullité »)

Ce dont il s’agit ici, c’est tout l’inverse de l’arrêt Vivéo, à savoir l’éviction de la procédure de licenciement économique. Dans les licenciements économiques déguisés, ce qui pose problème, ce n’est pas l’absence de motif économique, c’est le détournement de procédure.

Il convient à ce stade de se rapporter aux propos tenus par le Professeur Jacques Ghestin, dans son Traité de Droit Civil (Introduction Générale, 3ème éd., p. 726 et st.) :

« le droit n’est pas une mécanique aveugle. Il se contrôle lui-même, en ce sens que si la mise en œuvre des règles juridiques aboutit à des résultats trop choquants, des instruments sont forgés afin de corriger les excès. La théorie de l’abus de droit est un de ces instruments… un autre correctif est fourni par la théorie de la fraude. Il s’agit alors de sanctionner les manœuvre des individus qui, par ruse, tentent de tirer parti des règles juridiques afin de bénéficier d’un droit ou, plus généralement, d’un avantage dont ils ne devraient pas profiter. »

Selon le Professeur Ghestin, qui cite sur le sujet la thèse de référence de José Vidal ‘essai d’une théorie générale de la fraude en droit français’ : « Au sens strict, la fraude consiste à faire jouer une règle de droit pour tourner une autre règle de droit… C’est ce qu’a exprimé M. Vidal en donnant de la notion une définition précise : ‘il y a fraude chaque fois que le sujet de droit parvient à se soustraire à l’exécution d’une règle obligatoire par l’emploi à dessein d’un moyen efficace, qui rend ce résultat inattaquable sur le terrain du droit positif. Il en résulte que trois éléments doivent être réunis : une règle obligatoire, l’intention de l’éluder, l’emploi à cette fin d’un moyen adéquat. De la conjonction de ces éléments, il apparait que l’application normale des règles juridiques, en donnant satisfaction à l’auteur de la manœuvre, aboutirait à un résultat inadmissible, causant un véritable trouble social et, le plus souvent, contraire à la morale ».

Nous sommes là au cœur du débat : la règle, ou plutôt les règles obligatoires que l’employeur cherche à éluder sont celles qui sont relatives et spécifiques aux licenciement économiques (consultation des IRP, obligation de recherche de reclassement, critères de licenciement, priorité de réembauchage) ; l’intention de l’éluder résulte de la volonté d’échapper à ces règles contraignante par le biais d’un faux licenciement pour motif personnel monté de toutes pièces ; l’emploi à cette fin d’un moyen adéquat est celui du recours à la procédure de licenciement pour motif personnel.

Cette analyse permet de mettre en évidence le fait qu’un licenciement économique déguisé constitue d’abord et avant tout une fraude à la loi, à savoir une fraude à l’application des règles impératives d’ordre public propres aux licenciements économiques.

Le constat de l’existence d’une situation frauduleuse étant ainsi établi, vient ensuite dans un second temps la question de sa sanction.

Sur ce point, on peut utilement se reporter en complément à la thèse du Professeur Etienne Cornut intitulée « théorie critique de la fraude à la loi » (éditions Defrenoy, mars 2006), autre ouvrage de référence sur le sujet (voir en particulier pages 315 et st.).

Selon Etienne Cornut : « Dès lors qu’elle est relevée, la fraude à la loi doit être sanctionnée par l’autorité de contrôle, au besoin d’office, afin de la rendre inefficace, de priver l’intéressé de l’effet recherché… L’exception de fraude n’a pas pour objectif de remettre en cause le moyen frauduleux _  puisque ce moyen est licite _  mais seulement de dénier ses effets, de priver le fraudeur du résultat recherché et obtenu : l’exception de fraude sanctionne le résultat. »

Autrement dit, selon Etienne Cornut, la sanction de la fraude n’est pas tant celle de la nullité que de l’inopposabilité de la manœuvre frauduleuse.

Etienne Cornut indique ensuite : « dans certaines hypothèses, le recours à la notion de fraude à la loi ne conduit pas seulement à l’inopposabilité de la manœuvre et l’application de la loi éludée. La sanction générale [de l’inopposabilité] peut se combiner avec des sanctions accessoires… Concrètement, il s’agira essentiellement d’une demande en dommages et intérêts en raison du préjudice, au moins moral, causé par la manœuvre frauduleuse ».

Tout est dit.

Si la fraude à la loi est sanctionnée par la nullité du licenciement en cas d’atteinte à l’obligation de mise en place d’un PSE, c’est parce que cette obligation est elle-même expressément sanctionnée par une nullité. Dans un tel cas, l’inopposabilité de la manœuvre consiste à appliquer la loi éludée, c’est-à-dire la nullité du licenciement.

Dans les autres cas où la fraude au PSE n’est pas établie, il n’en reste pas moins l’existence d’une fraude à la réglementation spécifiques des licenciements économiques. La nullité n’étant alors plus de mise, l’inopposabilité consiste à faire application des règles de licenciement économiques éludées pour en sanctionner la violation par l’octroi de dommages et intérêts spécifiques. Elle consiste, dans ce cas-là, à aller au-delà des plafonds Macron par l’octroi de dommages et intérêts additionnels. Il s’agit là du seul moyen tangible d’appliquer en creux la loi éludée par l’octroi d’une réparation comme sanction effective de sa violation.

La notion de fraude ayant déjà été reconnue à plusieurs reprises par les juges pour des licenciements économiques déguisés, il convient donc de poursuivre cette voie pour en tirer les conséquences : non pas en demandant l’annulation du licenciement, sauf à établir l’existence d’un obligation de mise en place d’un PSE, mais en sollicitant des dommages et intérêts supplémentaires.

A tout le moins, dans l’attente d’un éventuel revirement de la Cour de Cassation, c’est la voie qui s’impose avec le plus d’évidence.

5°) Les moyens d’action des représentants du personnel

Les représentants du personnel ont tout intérêt à se mobiliser sur ces sujets de licenciements économiques déguisés, car ils ont de réels moyens d’action et de contrainte.

Sauf cas particuliers des accords collectifs de congé mobilité (L. 1237-18) ou de ruptures conventionnelles collectives RCC (L. 1237-19), les réductions d’effectifs doivent d’abord et avant tout faire l’objet d’une « information – consultation » du CSE.

Le thème de l’évolution future des effectifs relève normalement de la consultation annuelle du CSE sur les orientations stratégiques de l’entreprise (article L. 2323-10 du Code du travail). Ainsi, les consultations sur les orientations stratégiques qui débuteront à la rentrée de septembre devront avoir intégré l’impact Covid dans l’exposé de la stratégie de l’entreprise et ses impacts futurs prévisible sur l’emploi.

Au-delà de cette obligation de consultation dite « à froid », il existe une obligation de consultation « à chaud » du CSE sur les projet de restructuration et de réduction d’effectifs qui est imposée par les articles L. 2312-8[1]  et L 2323-39[2] du Code du travail.

La Chambre criminelle de la Cour de cassation a ainsi déjà  jugé le 4 novembre 1997 (n° 96-84594) que devait être soumise à la consultation du comité d’entreprise (aujourd’hui le CSE) la « politique de réduction des effectifs », résultant non de la « conjonction inopinée de divers départs naturels » mais d’une « stratégie délibérée de compression des effectifs menée dans un souci (…) d’adaptation à la conjoncture économique ». A fortiori, il doit en être de même lorsque l’entreprise met en œuvre de nombreux licenciements pour de soi-disant motifs personnels qui ne font pas l’objet de remplacements.

Les risques de « démissions forcées » de type « Orange » restent aujourd’hui relativement limités, notamment pour des raisons de fiscalisation des indemnités pouvant être versée à cette occasion et aussi en raison de la perte du droit aux allocation chômage qui en résulte (sauf nouveau cas  particulier de démission pour poursuivre un projet professionnel).

Il conviendra en revanche d’être particulièrement vigilant sur les ruptures conventionnelles ou leurs avatars toujours très courants des licenciements négociés pour motifs personnels, qui peuvent cacher un véritable plan social déguisé.

Pour les « cas » les plus difficiles, ceux où l’employeur refuse de faire le jeux de la transparence, il pourra utilement être fait recours au droit d’alerte. Dans ce cadre en effet, l’expert-comptable du CSE dispose d’un pouvoir d’investigation redoutable, qui lui permet de pouvoir accéder au transactions et aux ruptures conventionnelles signées par l’entreprise. S’il lui est interdit de divulguer les montants précis des transactions, il peut en revanche tout à fait indiquer si les motifs des licenciements et le montant des transactions mettent en évidence une fraude manifeste à la mise en œuvre d’un licenciement économique (voir ci-après).

Il ne faut pas se voiler la face. Les organisations syndicales pourront parfois avoir du mal à agir, dans certains cas en raison des demandes même de non-intervention effectuée par les salariés concernés. Si par exemple, selon un schéma classique, une entreprise procède à des « licenciements négociés » visant les salariés les plus proches de la retraites, quel sera le syndicat qui sera le premier prêt à déterrer la hache de guerre ? Tous les sentiers et toutes les possibilité de consensus « hors du droit » sont bien évidemment envisageables pour autant que chacun y retrouve son compte. Et à cet effet, le rôle et l’impulsion données par les représentants du personnel, le cas échéant en coordination avec les avocats des salariés concernés, peuvent effectivement jouer un rôle crucial.


[1] L’article L. 2312-8 instaure une obligation générale de consultation « sur les questions intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise, notamment sur les mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs… les conditions d’emploi, de travail et de formation professionnelle ».

[2] L’article L. 2312-39 instaure une  obligation spécifique de consultation du CSE sur les « projets de restructuration et de compression des effectifs »